Rencontre avec Elisabeth Elkrief, directrice générale
Quelle est la mission de la Fondation AlphaOmega ?
Notre Fondation se concentre sur un seul sujet, la réussite scolaire de jeunes issus de milieu modeste. L’éducation, fonction régalienne de l’Etat marche bien mais pour seulement environ 80% des élèves. La situation des 20% restants ne peut être résolue par l’Education Nationale. Nous avons donc décidé de consacrer notre action à ces 2 millions de jeunes qui ne sont ni à l’école ni au travail. Il existe 5 étapes clés au cours du parcours éducatif. Nous avons identifié les « risques charnières » liés : lacunes scolaires, marginalisation, mauvaise orientation, sortie du système scolaire, difficulté d’insertion professionnelle. Face à ces risques, de nombreux acteurs existent et tentent de les réduire.
Comment sélectionnez-vous les associations que vous soutenez ?
Nous choisissons les plus en pointe et à même de changer d’échelle : passer par exemple d’une cible de 10% de jeunes impliqués à 80%. Nous soutenons uniquement celles qui ont fait leurs preuves, à impact réel. Prenons l’exemple de l’association Coup de Pouce avec qui nous collaborons sur l’amélioration continue ou encore sur la réduction du coût investi par jeune afin d’augmenter leur nombre. Grâce à l’appui de notre équipe interne dédiée, nous les aidons à mieux se structurer dans des domaines comme la direction des systèmes d’information, le lean management[1] ou encore la communication.
Comment est venue l’idée de se tourner vers le modèle de la Venture Philanthropy [2]?
C’est Maurice Tchenio, pionnier du capital-risque dans les années 1970, qui en a eu l’idée. En faisant le choix d’investir dans des sociétés non cotées, il a identifié nombre de champions ignorés, des pépites capables de grandir mais qui peinaient à changer d’échelle. Au sein d’une entreprise de 20 personnes, les talents nécessaires en informatique, management, communication, etc., ne sont pas forcément présents. L’objectif de Maurice Tchenio était donc d’investir dans les compétences pour soutenir ces entreprises. En parallèle, il avait toujours eu envie d’entreprendre pour l’intérêt général. Il a donc fait réaliser une étude de marché internationale pour en comprendre les enjeux. Il a ainsi découvert la Venture Philanthropy, déjà enseignée à Harvard, et a alors compris qu’il n’était pas nécessaire de réinventer l’eau chaude puisque sa démarche avait déjà été conceptualisée !
Quelle est la différence entre la Venture Philanthropy et une fondation « traditionnelle » ?
Pour commencer, la Venture Philanthropy nécessite un budget conséquent car le soutien aux associations se fait sur le long terme, souvent une dizaine d’années. De fait, nous apportons un soutien financier à la structure des associations et non aux projets, contrairement à ce que font beaucoup de fondations ou fonds de dotation. Enfin, AlphaOmega leur propose les compétences dont elles ne disposent pas. Sept personnes de notre équipe travaillent à temps plein pour leur fournir ce soutien stratégique et opérationnel. Nous nous appuyons aussi sur des intervenants en pro Bono pour les conseiller dans de multiples domaines tels Oliver Wyman pour des missions de stratégie, Devoteam pour la transformation digitale, Alter’Actions, pour le développement de l’activité des associations. Ce sont des missions très orientées « business » qui font appel à des compétences professionnelles pointues. Les consultants travaillent au sein des associations, parfois plusieurs semaines, comme ils le feraient pour une entreprise, et sont notés pour leurs missions.
Comment les associations réagissent-elles à cet accompagnement susceptible de bouleverser leurs habitudes ?
Avant de mettre une association dans notre portefeuille il y a une période de « due dilligence [3]» de 9 à 12 mois. Dans la mesure où nous allons les accompagner plusieurs années, il est essentiel pour nous de savoir si l’association a vraiment envie de changer d’échelle. Certaines peuvent se montrer réticentes car « grandir » n’est pas une priorité pour elles. La plupart cependant comprennent notre démarche et accueillent favorablement les solutions que nous pouvons leur apporter dans leurs problématiques organisationnelles.
La venture philanthropy en est à ses débuts en France (environ 17 fonds selon l’EVPA[4]) pourquoi si peu d’engouement ?
Il me semble qu’il faille en trouver la raison dans le coût car la Venture Philanthropy demande, en plus d’un budget financier conséquent, de véritables compétences internes. En France nous sommes pionniers. Maurice Tchenio a lancé sa Fondation il y a 10 ans et nous accompagnons aujourd’hui 7 associations. Il faudrait éviter le « saupoudrage » et, multiplier par 10 le nombre de jeunes accompagnés par ces 7 associations pour vraiment résoudre le problème du décrochage scolaire.
La Fondation AlphaOmega est reconnue d’utilité publique et fondation abritante, en quoi est-ce important ?
Cette reconnaissance fait de notre Fondation un « label » en quelque sorte. Mais nous n’avons pas pour objectif de devenir la Fondation de France ! Beaucoup d’acteurs intervenant dans le secteur éducatif choisissent de soutenir nos associations car elles connaissent le travail de « due dilligence » réalisé en amont. Nous abritons par exemple « Les Ecoles de la 2e chance ». Nous recueillons également les investissements de philanthropes qui placent leur argent dans un fonds de dotation dont le produit sera en partie reversé à notre Fondation. Si on ne peut pas parler d’un véritable don, ce dispositif permet aux philanthropes de donner en confiance sans qu’ils ne cherchent eux-mêmes les associations. Cela signifie qu’ils acceptent de déléguer. C’est donc un véritable partenariat qui s’instaure en faveur de l’intérêt général et c’est là tout l’intérêt de la Venture Philanthropy.
Version anglaise / English version
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[1] Méthode de gestion et d’organisation du travail qui vise à améliorer les performances d’une entreprise
[2] Philanthropie qui adapte les méthodes du capital-investissement et du capital-risque au secteur de l’intérêt général
[3] Audit préalable d’acquisition