Rencontre avec Antoine Parrad, Secrétaire Général
Comment vous est venue l’idée de faire certifier B-Corp la Caisse d’Epargne Normandie ?
Cette idée ne nous est pas venue du jour au lendemain. Bien au contraire. Cela faisait déjà longtemps que nous nous étions engagés dans une démarche RSE. Il faut rappeler que la Caisse d’Epargne a un véritable ADN philanthropique, qui date du début du 19e siècle. En Normandie, nous sommes depuis près de 200 ans à l’écoute de la société qui nous entoure et avons une forte connaissance de nos réseaux. Nous sommes en outre, avec un budget annuel de plus d’1 million d’euros, le premier mécène privé de l’économie sociale et solidaire de la région !
Dans la continuité de l’obtention de notre statut coopératif nous avons fait le choix, en 1999, de conjuguer performance économique avec responsabilité sociétale, à l’instar de ce que nous avons mis en place avec kiwai, une plateforme d’investissements dans des projets « verts et normands ».
En sollicitant la certification B-Corp, particulièrement exigeante, nous avons donc voulu consolider cette longue démarche tout en engageant une nouvelle étape.
Vous êtes la première banque française à être certifiée, était-ce compliqué ?
Oui c’était long et complexe. Cela nous a demandé 14 mois de travail. Nous étions des « pionniers » car B-Corp ne connaissait pas le modèle coopératif. Comme nous faisons partie du Groupe BPCE il a fallu de surcroît beaucoup de pédagogie pour garantir que seule la Caisse d’Epargne Normandie serait certifiée et non l’ensemble des 15 caisses régionales. Nous avons essuyé les plâtres en quelque sorte ! Il faut dire qu’en France seules 110 entreprises sont certifiées B-Corp et ce sont essentiellement des petites entreprises. Un mouvement semble cependant se dessiner chez les plus grandes grâce à la Loi PACTE. Danone vient d’ailleurs très récemment de devenir « entreprise à mission », ce qui l’obligera probablement à aller au-delà de la recherche de rentabilité et de poursuivre des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux.
Quelles sont les étapes pour se faire certifier B-Corp ?
Vous devez répondre à environ 250 questions touffues sur 5 grands domaines d’impact : gouvernance, collaborateurs, collectivités, environnement et clients. Si vous avez 80 points sur 200 vous pouvez vous inscrire. Vous entrez ensuite dans la démarche et êtes accompagnés par un auditeur. Nous avons eu au final 83 points (pour le groupe CEN et ses filiales), ce qui est plutôt satisfaisant. Evidemment notre modèle de banque coopérative, donc appartenant à ses clients, nous a servi ; mais cela ne suffit pas. Il faut prouver, on ne peut rien inventer. Par exemple autant nous avons pu être excellents sur le droit des salariés, au regard des modèles anglo-saxons, autant nous avons des améliorations à apporter sur les enjeux environnementaux, comme la qualité de l’air. Nous allons donc mettre en place des KPI[1] sur la consommation d’énergie, notamment dans les bâtiments, etc.
Est-ce motivant pour vous ?
Oui car cela nous pousse à toujours progresser. Dans 3 ans nous remettrons notre certification en jeu. Cette « obligation » de nous améliorer va désormais nous guider et sera intégrée à la conception de notre plan stratégique qui sera basé sur le respect de la norme B-Corp. Par exemple, nous allons essayer de diminuer notre financement de l’énergie carbone et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
A titre personnel, cela m’a demandé beaucoup d’investissement, d’énergie. Mais, si j’ai un conseil à donner, c’est qu’il ne faut jamais rien lâcher et réussir à avoir les informations rapidement. Cela implique un engagement à un haut niveau de l’entreprise.
Quels impacts cette certification aura-t-elle, selon vous, sur vos différentes parties prenantes ?
Même si les Normands sont d’une manière générale des « taiseux », nous avons démarré une communication sur ce sujet fin mars, en pleine crise du COVID-19. Cela n’a donc pas été simple. Cependant nous avons d’ores et déjà de bons retours de la part de nos fournisseurs et recevons des propositions de ceux certifiés B-Corp, avec lesquels nous partageons des valeurs communes.
Il est encore un peu tôt pour juger de l’impact de la certification auprès de notre clientèle mais les entreprises normandes qui travaillent à l’international (notamment au Havre), les start-up, les entreprises du green business connaissent bien cette norme et accueillent très favorablement notre récente certification.
Concernant nos 1 800 collaborateurs, c’est pour eux une fierté car cette certification récompense leur travail. Enfin, nos administrateurs ont été enthousiasmés par la démarche car ce sont eux qui oeuvrent pour notre mécénat, en sélectionnant les projets soutenus et en les auditant.
Est-ce que cette initiative va se développer dans les autres Caisses d’Epargne ?
Je l’espère. Nous avons organisé fin juin un webinaire entre les 70 responsables RSE de la Caisse d’Epargne et Augustin Boulot, responsable B-Corp France. Les Caisses régionales se sont montrées très intéressées car beaucoup sont déjà engagées : sur 15 d’entre elles, 10 sont certifiées RSE et certaines labellisées LUCIE. A mon sens cependant, la certification B-Corp se démarque des autres, notamment par son positionnement qui pousse les entreprises à se définir une raison d’être, un sujet plus que jamais d’actualité pour ce que l’on appelle désormais le « monde d’après ».
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[1] KPI : Key Performance Indicator, (indicateurs clés de performance)