Et si cette période de confinement était l’occasion ou jamais de repenser la stratégie des entreprises ? Et si la Loi PACTE était finalement le levier idéal pour aider les entreprises à redéfinir ce fameux « monde d’après » ? Utopie ou pas, ce temps suspendu nous a permis de nous plonger dans un MOOC particulièrement inspirant proposé par l’ESSEC : « Raison d’être et société à mission[1] », une thématique plus que jamais d’actualité.
La Loi PACTE, tout le monde en parle mais peu de gens savent ce qu’elle contient. Promulguée le 22 mai 2019, elle signifie en toutes lettres Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises. Son objectif ? Repenser la place des entreprises dans la société en leur consacrant leur rôle sociétal. Pour faire simple il s’agit d’offrir autre chose qu’un capitalisme ultralibéral et financier, trop souvent guidé par le court terme. Serait-il donc possible de réconcilier rentabilité économique à long terme et prise en considération des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux ?
Une loi attendue par tous
Pour Olivia Grégoire, députée LREM et vice-présidente de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, cette loi était attendue par de nombreux chefs d’entreprise et de salariés. Beaucoup de choses ont en effet changé ces dernières années pour les collaborateurs et les consommateurs, qui sont d’ailleurs très souvent les mêmes.
Les jeunes générations en quête de sens
Les sondages sont unanimes : les jeunes générations sont en quête de sens. « Il faut savoir pourquoi, le matin, on va travailler, explique Olivia Grégoire, il y a une envie de contribuer, au-delà de l’entreprise, à un projet sociétal et humain qui dépasse le seul bénéfice, le seul salaire, le seul dividende ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont explicites : sept jeunes sur dix qui entrent sur le marché du travail recherchent d’abord un sens à leur travail plus qu’un salaire.
Cette génération de millennials ne s’y trompe pas et aspire massivement à des missions et organisations pilotées par une raison d’être et un impact positif sur la société et la planète. « Si les entreprises ne font rien pour prendre en compte les enjeux écologiques nous ne viendrons pas chez elles, nous irons voir ailleurs » nous confiait très récemment Camille Etienne, étudiante et conférencière, dans une interview pour notre blog.
Le désengagement des salariés prend, de fait, des proportions inquiétantes. La dernière étude de l’Institut Gallup, à l’échelle mondiale, révèle que 85 % des salariés sont désengagés et 18 % fortement désengagés ! Il est donc impératif de trouver une nouvelle dynamique d’engagement pour les collaborateurs.
Les consommateurs en quête de transparence
Côté consommateurs, leur volonté de transparence est de plus en plus forte. Les applications de consommation responsable qui fleurissent sur le marché en témoignent. L’attente et les objectifs sont clairs : mieux acheter, mieux consommer et mieux recycler. Un exemple : les ventes issues du commerce équitable ont quadruplé ces dernières années. Preuve que les consommateurs sont bel et bien en quête de produits et de services traçables et éthiquement viables.
Pour Emmery Jacquillat, Président de la Communauté des entreprises à mission et PDG de la CAMIF, « Nous faisons face aujourd’hui à trois urgences : le climat, le social et la biodiversité ». Et ce sont les entreprises qui sont les plus puissants leviers de transformation de la société.
« Les entreprises qui réussiront sont les entreprises qui sauront prouver leur utilité pour la société »
Tous les dirigeants, des jeunes entrepreneurs aux patrons de très grands groupes, doivent prendre conscience qu’il faut redonner du sens à leur entreprise et mettre au cœur de leur projet une mission à utilité sociale ou environnementale, aussi importante que la mission économique de l’entreprise.
Même Larry Fink, le PDG de BlackRock, le plus grand fonds d’investissement au monde a fait de la « mission » une vraie dynamique en déclarant : « La mission, le purpose, n’est pas un slogan publicitaire, c’est la raison d’être, reason for being, fondamentale de l’entreprise. Elle vise à unifier le management, les employés et les communautés dans une vision de long terme, les profits et la raison d’être ne s’opposent pas, ils sont inextricablement liés ; il faut envisager une nouvelle génération d’entreprises focalisées sur la raison d’être ».
« Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va »
La raison d’être doit être un cap. Elle doit mobiliser et impliquer toutes les parties prenantes dans une vaste concertation. Elle doit évidemment être en cohérence avec l’identité de l’entreprise, son ADN, avec ses valeurs, sa culture, son histoire, et bien sûr avec les métiers de chacun de ses collaborateurs. Elle doit, enfin, répondre aux attentes des clients et à celles de l’ensemble de la collectivité. Cependant, clamer cette raison d’être, l’afficher, en faire la publicité serait perçu uniquement comme un élément de communication.
« La raison d’être n’est pas un slogan »
Ce que confirme Bénédicte Crété-Daubricourt, DRH de Groupama :« La raison d’être n’est pas un slogan et nous avons beaucoup insisté pour que ce ne soit pas vu comme tel. Nous aurions, en effet, raté l’exercice dans le cas contraire. Nous avons ainsi associé l’ensemble de nos équipes dirigeantes et nos administrateurs. Des groupes de travail ont aussi fonctionné avec nos collaborateurs, forts des enseignements de nos études clients. Ces étapes d’élaboration et de formulation réalisées, nous allons à présent entamer une phase de communication au sein du groupe pour diffuser le plus largement possible cette raison d’être. Trois maîtres mots ont guidé les actions de communication : émotion, explication, incarnation. »
La MAIF a, quant à elle, fait le choix d’inscrire sa raison d’être dans ses statuts afin de marquer une idée de pérennité. Il était important pour elle de montrer que l’entreprise n’a pas pour finalité exclusive sa propre croissance, son développement, sa rentabilité, mais qu’elle a un rôle social à jouer en étant attentive à la fois à ses parties prenantes, ses collaborateurs, ses clients, ses fournisseurs. Pascal Demurger, son PDG, l’affirme : « Cela a été un travail très long pour arriver à cette définition, parce que l’on a voulu repartir de l’origine de l’entreprise. Pour nous, la raison d’être, ce n’est pas quelque chose qui se place à côté de l’activité. Nous n’avons pas voulu faire comme beaucoup d’autres entreprises, qui, malheureusement, mettent la RSE en dehors de leur activité, et qui essaient d’avoir la fondation qui va bien, le soutien financier à telle ONG ou telle association, etc. »
La crise du Coronavirus a été l’opportunité de mettre en valeur les entreprises qui agissent pour le bien commun
La crise du Coronavirus a permis de mettre en œuvre les dispositifs de générosité de nombreuses entreprises, et plus particulièrement des sociétés à mission. Pascal Demurger[2] explique la stratégie de la MAIF dans ce contexte inédit : « Plutôt que de ralentir les délais de paiement, nous les avons considérablement accélérés à l’égard de nos prestataires et fournisseurs. Nous n’avons pas communiqué là-dessus car cela nous paraissait évident. Ensuite, compte tenu de la baisse des accidents de voitures, nous avons aussi pris la décision de reverser 100 millions d’euros à l’ensemble de nos sociétaires titulaires d’un contrat d’assurance automobile, et nous avons mis en place un site internet permettant aux sociétaires concernés de reverser cette somme à trois organisations totalement mobilisées face à cette crise. Nous n’avons pas communiqué sur cette initiative mais simplement prévenu nos sociétaires par e-mails. Il y a eu, ensuite, de fortes retombées médiatiques ».
« L’entreprise ne changera de comportement que si elle trouve un intérêt à le faire »
Pour ce PDG, il faut être capable de démontrer que l’on peut bâtir des modèles économiques où la performance de l’entreprise est nourrie par son engagement sociétal et environnemental. Plus une entreprise apportera d’attention et de bienveillance à l’égard de ses collaborateurs, plus elle obtiendra en retour adhésion et engagement forts. Si le management mis en place permet aux collaborateurs de s’exprimer de manière plus libre et complète, le collaborateur sera plus innovant car il se saura écouté. Il en va de même pour les clients. Un conseil désintéressé et formulé dans le seul intérêt du client final permet d’augmenter la fidélité de ce dernier. Sur le long terme, l’intérêt de l’entreprise se confond donc avec l’intérêt du client, alors qu’à court terme les deux auraient pu être opposés. Exemple : à la MAIF, les vendeurs, y compris les gestionnaires de patrimoine, ne sont pas intéressés sur les ventes qu’ils réalisent.
« Ce serait dramatique de reprendre après la crise comme si rien ne s’était passé »
Pour inciter les entreprises à devenir sociétés à mission, Olivia Grégoire réfléchit à plusieurs pistes comme, par exemple, l’accès facilité aux marchés publics. Une autre option consisterait à intégrer la performance extra financière, c’est-à-dire celle liée aux engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le bilan comptable des entreprises. Aujourd’hui, une entreprise qui mène une politique de formation ambitieuse ou une politique paritaire très forte en mettant l’accent sur l’articulation vie privée/vie professionnelle, ne voit ses efforts mentionnés que dans le rapport annuel comptable. Pour aller plus loin, ces actions pourraient être intégrées de manière concrète et directe dans le bilan de l’entreprise, sous la forme de points ou d’une colorimétrie par exemple. Selon Olivia Grégoire : « L’Europe a une carte à jouer sur le développement d’un modèle alternatif et peut prendre un temps d’avance. Ce serait dramatique de manquer cette occasion et de reprendre après la crise comme si rien ne s’était passé. Il faut, dès à présent, commencer à réfléchir au monde d’après ».
« Les entreprises avec un bon profil sur les questions de développement durable sont pilotées par de meilleures équipes de direction »
Même son de cloche outre-Atlantique. Une étude de Fidelity International[3] publiée mi-avril 2020, indique qu’une distinction s’est clairement opérée pendant cette période exceptionnelle. D’après les données compilées, les titres des entreprises les mieux notées sur le plan environnemental, social et de gouvernance ont mieux résisté que la moyenne du marché. Pour les moins bien classées cela a été l’inverse. « Lorsque nous avons initié nos recherches, nous avions la conviction que les entreprises avec un bon profil sur les questions de développement durable sont pilotées par de meilleures équipes de direction et devraient donc surperformer le marché, même en cas de crise. À l’issue de ces recherches, les données analysées nous ont confortés dans ce sens », précise le géant américain.
Alors, est-ce vraiment la fin d’UN monde et le début d’un nouveau dans lequel les entreprises, la créativité, l’innovation, la technologie se mettraient au service du bien commun ?
[1] https://www.coursera.org/learn/raison-etre-et-entreprise-a-mission
[2] La Tribune du 13 avril 2020
[3] Fidelity est l’un des principaux fournisseurs de stratégiesd’investissement et de solutions de retraite au niveau mondial
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