Camille Etienne
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Les millennials ou la génération du vide

Rencontre avec Camille Etienne, étudiante et conférencière

Il ne se passe pas une seule journée sans que ne soit publiée une étude sur les jeunes générations et le monde de l’entreprise. Le récent baromètre Boston Consulting/CGE/Ipsos indique par exemple que les étudiants et jeunes diplômés sont très sceptiques sur l’engagement sociétal des entreprises, ce qui représente un frein pour accepter un poste au sein d’entre elles. Pour aller au-delà des études et des chiffres nous avons choisi de donner la parole à l’une de ces jeunes, Camille Etienne, 21 ans, étudiante à Sciences Po et activiste / conférencière déjà reconnue.

Vous retrouvez-vous dans la définition que l’on donne généralement des « millennials » à savoir des jeunes qui sont très sensibles à leur qualité de vie et pour qui le travail doit avoir un sens ?

Oui, je pense que cette définition est proche de la réalité. Nous avons grandi dans une société qui nous a vendu les mérites de la réussite, nous a appris à toujours consommer plus et on se retrouve aujourd’hui face à un avenir incertain, devant une urgence climatique qu’on ne peut plus ignorer. Alors c’est vrai, les jeunes savent que, quoi qu’il en soit, ils ne connaîtront pas le parcours linéaire de leurs parents et devront donc inventer une nouvelle voie. Sachant que l’on n’entrera pas dans une entreprise pour y faire sa carrière, autant choisir celle qui correspondra le plus à nos aspirations ! A Sciences Po j’ai autour de moi des amis qui ont préféré choisir de travailler dans des métiers manuels, de s’investir dans des projets agricoles ou encore de monter des start-ups. L’industrie ne nous fait plus rêver.

Que pensez-vous de la « raison d’être » de plus en plus affichée par les entreprises ?

Les entreprises ne me semblent pas suffisamment engagées. Elles auraient pourtant intérêt à le faire si elles veulent attirer les jeunes. On a parfois le sentiment qu’il y a pas mal de greenwashing, de social washing, de communication, et pas suffisamment d’actes. A mon sens, c’est l’ensemble du « business model » qui sera bientôt à revoir car nous savons tous que le marché est en train de changer, sous la pression des consommateurs, des jeunes générations. Si les entreprises ne s’adaptent pas, beaucoup d’entre elles disparaîtront.

Dans certaines de vos interventions vous parlez d’une « génération du vide », pouvez-vous préciser ce que recouvre cette notion ?

Je fais référence au texte de Raphaël Glucksmann, « Les Enfants du Vide ». Il nous dit qu’on nous a vendu un modèle, celui de nos parents, très structuré et basé essentiellement sur la réussite et l’argent. Nous avons bien conscience que ce modèle est amené à disparaître. Pour nous, la croissance aujourd’hui est celle qui sera liée à notre développement personnel, au bonheur, à l’égalité, la solidarité et non celle des indicateurs boursiers. Tout le monde le sait, l’année 2020 est une année charnière et la décennie qui s’annonce est essentielle. A travers les derniers mouvements étudiants, les jeunes ont montré leur engagement pour une transition écologique plus rapide, pour plus de social et plus d’égalité. Car, si la porte d’entrée de ce mouvement, notamment porté par Greta Thunberg, est écologique, il va bien au-delà.

Je dirais en même temps, et cela peut paraître paradoxal, que ce « vide » auquel nous sommes confrontés est une chance. Il nous permet de nous poser de nouvelles questions, de réinventer des choses et de créer une approche de la vie moins individualiste. Il nous incite à penser à un nouveau modèle économique plutôt qu’à sa carrière professionnelle.

En septembre 2018 a été créé le collectif d’étudiants « Pour un réveil écologique », de quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit d’un collectif d’étudiants mis en place en 2018 par un groupe d’étudiants de grandes écoles comme Polytechnique, l’ENS, HEC et AgroParisTech, suite à la publication du rapport du GIEC. Ce collectif a ensuite publié le « Manifeste étudiant pour un réveil écologiste » qui a été signé par plus de 30 000 étudiants de 400 universités et écoles du Supérieur. Il a été adressé aux grandes entreprises qui recrutent principalement dans ces écoles : 70% des membres de leurs Comex en proviennent ! Le message qui leur est adressé est clair : si vous ne faites rien pour prendre en compte les enjeux écologiques nous ne viendrons pas chez vous, nous irons voir ailleurs. Aujourd’hui certaines de ces entreprises ont répondu à nos questions, ce qui prouve que nous avons été écoutés et pris au sérieux. 

Justement, quels sont les leviers que pourraient mettre en place les entreprises pour attirer, engager et fidéliser les jeunes collaborateurs ?

Dans ma spécialité, qui est « International management et Sustainability », personne ou presque ne connaît les rapports intégrés des entreprises ; leur communication n’arrive pas jusqu’à nous. Bien entendu, nous n’attendons pas uniquement de la communication de leur part mais qu’elle aient une réelle vision de l’avenir et, surtout, plus d’ambition. On regardera d’un meilleur œil une entreprise qui s’engagera à travers des initiatives telles que le « 1% pour la planète », qui accordera à ses salariés des journées pour soutenir des associations, qui aura mis en place des cantines bio, parce que cela aura une cohérence avec notre vie de tous les jours. Car à quoi bon faire des efforts chez nous, à titre personnel, si au sein de l’entreprise, où nous passons une grande partie de notre temps, on ne s’y retrouve pas ? Tous les jours nous faisons notre possible pour manger mieux, local éviter les plastiques donc, au travail, cela doit être pareil. Il faut une véritable prise de conscience de la part des entreprises, qu’elles fassent des efforts dans tous les domaines. Prenons l’exemple des événements internes : pourquoi envoyer des collaborateurs à l’autre bout du monde alors que nous pourrions les organiser plus près ? Et, s’il faut vraiment en faire, pourrions-nous diminuer leur fréquence ? C’est ce que nous promouvons avec le mouvement « Atterrissage », qui met en avant les alternatives locales pour se dépayser, se dépasser, sans avoir besoin de prendre l’avion.

Mais cela ne représente cependant que la partie la plus visible de ce que doit être une entreprise engagée. Pour aller plus loin il faudrait vraiment utiliser les talents pour servir la transition écologique et sociétale : ce n’est pas un hobby mais notre contribution au maintien de la vie.


En savoir plus sur Camille :

Après avoir grandi dans les montagnes savoyardes, Camille a rejoint Sciences Po Paris. Face à la déconnexion de ses camarades à la nature, elle a choisi de prendre une part active à cette jeunesse qui s’engage. Elle est aujourd’hui une porte-parole de On Est Prêt dans les médias et divers festivals (Pete The Monkey, Atmosphère, Festival Européen de Cinéma des Arcs… ou encore Atlas of the future à Barcelone aux côtés de Cécile Duflot). Comme Cheval de Troie, elle réalise également des conférences en tant que « jeune activiste » chez les « décideurs » au Ritz, à JP Morgan, au Sénat, devant des députés, à TEDx… pour les convaincre que notre modèle agricole détruit la terre autant que ceux qui la travaillent. Son ton est celui de l’espoir lucide, de l’optimisme constructif. Il ne s’agit pas d’établir une liste des problèmes auxquels notre humanité va devoir faire face mais bien de donner l’envie d’agir, de ne pas attendre d’être légitime pour le faire et de le faire dans la joie.

Et puisqu’on ne parle jamais mieux de soi… sa bio en image

Quelques unes de ses interventions

Repenser l’agriculture à l’intérieur de ses limites

La marche du siècle: pour une justice sociale et climatique


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1 comment
  1. AVATAR

    […] Commençons par les collaborateurs. Les sondages sont unanimes : les jeunes générations sont en quête de sens. « Il faut savoir pourquoi, le matin, on va travailler, explique Olivia Grégoire, il y a une envie de contribuer, au-delà de l’entreprise, à un projet sociétal et humain qui dépasse le seul bénéfice, le seul salaire, le seul dividende ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont explicites : sept jeunes sur dix qui entrent sur le marché du travail recherchent d’abord un sens à leur travail plus qu’un salaire. Cette génération de millennials ne s’y trompe pas et aspire massivement à des missions et organisations pilotées par une raison d’être et un impact positif sur la société et la planète. « Si les entreprises ne font rien pour prendre en compte les enjeux écologiques nous ne viendrons pas chez elles, nous irons voir ailleurs » nous confiait très récemment Camille Etienne, étudiante et conférencière, dans une interview pour notre blog. […]

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