Chloe Baunard Pinel, responsable philanthropie Apprentis d'Auteuil
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Comment réinventer la philanthropie

Rencontre avec Chloé Baunard-Pinel, Responsable Philanthropie chez Apprentis d’Auteuil

Alors que l’élan de générosité pour soutenir la reconstruction de la Cathédrale Notre-Dame de Paris divise sur les motivations réelles des donateurs, nous avons demandé à Chloé Baunard-Pinel[1], responsable Philanthropie chez Apprentis d’Auteuil[2], de revenir sur les principes fondamentaux de la générosité et l’importance qu’elle joue au sein de notre société.

Vous êtes responsable philanthropie d’une fondation française historique. Pourriez-vous nous donner une définition de la philanthropie ?

La philanthropie est l’engagement individuel profond et réfléchi d’une personne autour d’une cause qui lui tient à cœur. Cet engagement est propre à chacun en fonction de ses moyens, de ses valeurs et de ses convictions. Les philanthropes qui s’engagent aux côtés de notre Fondation se sentent investis par les défis sociétaux majeurs que sont l’éducation et l’insertion. Ils soutiennent et accompagnent dans la durée nos actions de terrain et nos axes forts de développement.

De quelle manière les philanthropes s’engagent-ils ?

Outre les dons en numéraire, il peut s’agir de montages patrimoniaux plus complexes tels la donation temporaire d’usufruit d’un bien immobilier ou mobilier dont les revenus sont ainsi octroyés à Apprentis d’Auteuil sur une période allant de 3 à 10 ans. De facto, pendant ce laps de temps, les revenus produits n’entrent plus dans le calcul de l’Impôt sur le Revenu et, lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier, la valeur de l’usufruit sort du calcul de l’Impôt sur la Fortune Immobilière. Par-dessus tout, les revenus produits par le bien permettent à la Fondation de financer des actions pour les jeunes et les familles.

Cela étant, au-delà du don, les philanthropes sont souvent à la recherche d’une véritable relation d’échange avec nous et nous les invitons régulièrement sur le terrain pour qu’ils découvrent ce que nous réalisons concrètement. Avec 230 établissements et dispositifs nous avons de quoi faire ! Ces rencontres nous permettent en outre de fidéliser ces donateurs, même si ce n’est pas toujours facile.

Quelle différence faites-vous entre un mécène et un philanthrope ?

En France on utilise généralement le mot « mécène[3] » lorsque les dons sont faits par les entreprises et « philanthrope » lorsqu’il s’agit d’un donateur individuel. Dans beaucoup d’autres pays, surtout anglo-saxons, on ne fait pas cette distinction. D’ailleurs, le mot « mécénat » est très souvent traduit par « philanthropy ». Comme la philanthropie n’était pas vraiment développée en France on a commencé par inciter les entreprises à s’engager, et c’est la loi Aillagon de 2003 qui a définitivement ancré le terme « mécénat ». Il y a cependant des ponts qui se créent entre philanthropie et mécénat. Il arrive en effet que certains chefs d’entreprise, donateurs à titre personnel, souhaitent ensuite sensibiliser leurs collaborateurs et mettent en place une politique de mécénat dans leur entreprise.

Qu’en est-il dans les autres pays ?

Dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis, la philanthropie est nettement plus développée. C’est une véritable culture, issue des racines protestantes du pays, qui encourage cette tradition du don d’argent mais aussi du don de soi puisqu’on estime que 2/3 des Américains accordent une part de leur temps à une œuvre philanthropique. La générosité des entreprises et des individus bénéficie néanmoins en France d’un des cadres fiscaux les plus avantageux au monde.

Pouvez-vous nous dresser le portrait type du philanthrope chez Apprentis d’Auteuil ?

Il s’agit souvent d’un jeune retraité qui connaît la Fondation par tradition familiale ou parce qu’il habite ou a habité le quartier d’Auteuil (Paris 16e), siège d’Apprentis d’Auteuil depuis sa création en 1866 par l’Abbé Roussel. Cette cible tend cependant à se rajeunir et nous embarquons de plus en plus les jeunes entrepreneurs et cadres dirigeants, particulièrement sensibles aux problématiques d’insertion des jeunes.

Dans le dernier baromètre de France générosités publié le 4 avril dernier, on a constaté une baisse de 4,2% de la générosité en France en 2018, avez-vous également été impactés ?

Indéniablement puisque nous avons perdu près de 20% de dons ! Comme l’explique cette étude, cette baisse est majoritairement due à la disparition de l’ISF et à la hausse de la CSG sur les retraites. Le prélèvement à la source a lui aussi joué un rôle important dans cette diminution. Ainsi, certaines personnes ont suspendu leurs dons réguliers, car elles ne savaient pas quel impact cette mesure allait avoir sur leur revenu mensuel. D’une manière générale, je dirais que l’instabilité fiscale est malheureusement toujours dommageable pour les associations.

Quels leviers voyez-vous pour relancer la générosité ?

Il me semble que les associations et fondations ont trop longtemps communiqué sur la fiscalité et pas suffisamment sur les causes qu’elles soutiennent. N’oublions pas que les donateurs font avant tout des dons par convictions et non pour réduire leurs impôts. Nous devons aussi nous tourner vers l’innovation pour rajeunir nos cibles : crowdfunding, dons en ligne ou par SMS, micro-dons,… Tout ce qui peut impliquer les nouvelles générations doit être testé et c’est ce que nous faisons. Parallèlement, nous devons absolument trouver de nouveaux philanthropes, or ils sont peu nombreux et très sollicités. Nous devons multiplier les prises de parole afin de mettre en lumière notre expertise, nos convictions et nos actions, car soutenir la jeunesse c’est aussi investir pour l’avenir de notre société.

Version anglaise / English version

[1] Chloé Baunard-Pinel est engagée depuis près de 10 ans dans le secteur à but non lucratif. D’abord juriste puis responsable juridique et affaires publiques à Admical, association de développement du mécénat d’entreprise, elle met depuis janvier 2017 son expertise juridique et fiscale et sa connaissance de la philanthropie au service d’Apprentis d’Auteuil.

[2] Depuis plus de 150 ans Apprentis d’Auteuil développe des actions pour agir le plus tôt possible auprès des jeunes et prévenir l’exclusion par l’éducation. Elle intervient dans quatre champs principaux : la protection de l’enfance, le décrochage scolaire, le soutien à la parentalité, l’insertion sociale et professionnelle. En effet, la Fondation est convaincue qu’un accompagnement global et personnalisé permet au jeune de s’épanouir et de construire un projet afin qu’il trouve sa place dans la société.

[3] Le mot mécène vient de Caius Cilnjus Maecenas, protecteur des arts et des lettres de la Rome Antique

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