Sénat colloque « Le mécénat : charge publique ou nécessité
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Le mécénat : charge publique ou nécessité ?

Le 9 septembre 2019 s’est déroulé au Sénat un colloque passionnant sur un sujet brûlant. Intitulé Le mécénat : charge publique ou nécessité , il a réuni des acteurs majeurs du monde de la vie publique et de la générosité. Morceaux choisis.

Le mécénat n’en finit plus de faire parler de lui. Si une première polémique a vu le jour en 2006 avec la création de la Fondation Vuitton, c’est bien le formidable soutien à la Cathédrale Notre-Dame de Paris, après l’incendie des 15 et 16 avril 2019, qui a enflammé le débat. Débat jugé « indécent » par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture et de la communication et auteur de la loi mécénat du 1er août 2003 qui porte son nom.

Mais, pourquoi un tel débat ? Il s’agit avant tout d’un problème « d’incompréhension de cette loi » selon l’ancien ministre qui en a rappelé les principes fondamentaux. Tout d’abord cette loi, portée par un ministre de la culture ne concerne pas uniquement ce secteur, mais tous les domaines relevant de l’intérêt général. L’Observatoire de la Philanthropie[1] de la Fondation de France souligne d’ailleurs les trois principaux domaines d’intervention des fondations françaises: l’action sociale (24 %), la santé et la recherche médicale (17 %), à part égale avec les arts et la culture.

Celui qui ne donne pas aura toujours plus que celui qui donne

La philosophie de la loi, avec des mécanismes simples (60 % de réduction d’impôts pour les particuliers et les entreprises – dans une limite de 0,5 % du chiffre d’affaires) ne se voulait pas un désengagement de l’Etat mais une incitation à ce que tous, entreprises et citoyens, participent à l’intérêt général. Pour Jean-Jacques Aillagon, le terme de « niche fiscale » est faux. Il s’agit d’une « réduction fiscale » qui ne peut pas être comparée, par exemple, à un investissement immobilier qui bénéficie directement à la personne qui investit. A l’inverse, dans le mécénat, celui qui ne donne pas aura toujours plus que celui qui donne. Les dons de ce dernier serviront de surcroît uniquement à des actions d’intérêt général. Pour l’ancien ministre, il est impératif de réfléchir avant de commettre l’irréparable et arrêter l’activisme législatif pour se pencher, plutôt, sur une clarification de la notion d’intérêt général.

Une série d’amendements qui contribuent à l’opacité du système fiscal

Depuis 2003, cette loi a néanmoins connu un certain nombre d’amendements mais toujours au bénéfice de la générosité. Ainsi, les dons des particuliers au profit d’organismes ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel ouvrent droit depuis 2015 à une réduction d’impôt non plus de 60 % mais de 66 %. Pour les aides aux personnes en difficulté et pour la restauration de Notre-Dame de Paris, cette réduction atteint aujourd’hui les 75 %. Concernant les entreprises, la loi de Finances de décembre 2018 a également modifié le dispositif législatif du mécénat en faveur des TPE/PME. Celles-ci peuvent désormais choisir le plafonnement du montant de leurs dons à 10 000 € ou 5 ‰ du chiffre d’affaires si ce dernier montant est plus élevé. Un geste salué par les petites entreprises qui représentent 96 % des mécènes mais seulement 22 % des montants déduits de l’Impôt sur les Sociétés. Les ETI et grandes entreprises, donc 4 % des entreprises mécènes, représentent ainsi 78 % de ces montants[2] ! Pour Daniel Bruneau, ancien président de France générosités, cette complexification des réductions fiscales, pouvant aller de 60 à 90 % selon les structures et les causes, contribue inévitablement à l’opacité du système fiscal actuel.

 Un cadre plus clair pour le mécénat ?

Lors d’une interview parue fin août dans Les Echos, Gabriel Attal, Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, a annoncé de nouvelles mesures concernant le mécénat, notamment une baisse des réductions d’impôts pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros (la réduction passerait de 60 à 40 %), afin de « prévenir les abus ». 80 millions d’économies pourraient ainsi être réalisés, même si « l’objectif principal n’est pas de faire des économies ». Les autres principales mesures annoncées concernent le mécénat de compétences, qui devrait être plafonné à 3 fois le plafond de la Sécurité Sociale, et les contreparties accordées aux mécènes, appelées à être mieux encadrées.

Cette baisse de la réduction fiscale permettra-t-elle à la France de rattraper son retard par rapport à ses voisins européens ou au contraire de l’accentuer ? Pour Gabriel Attal, ces nouvelles mesures ne devraient pas avoir d’impact : « la fiscalité n’est plus le moteur principal de leur mécénat (NDLR des grandes entreprises) Aujourd’hui plus d’une entreprise sur trois ne demande pas la déduction fiscale à laquelle elle à droit pour ses dons ».

De son côté, Vincent Eblé, président de la commission des finances du Sénat, rappelle que les réductions fiscales du mécénat ne représentent que 900 millions d’euros soit 0,25 % du budget de l’Etat. Il souligne également qu’il faut distinguer la charge publique de l’atout que représente le mécénat, notamment via le bénévolat. La modification de la loi pourrait donc provoquer une instabilité alors que les entreprises ont besoin de stabilité fiscale. Par ailleurs, si l’Etat attend 80 millions d’économies, en pratique il est très probable que l’on assiste, pour certaines entreprises, à une baisse de leur générosité, les acteurs changeant fréquemment leur comportement.

Gabriel Attal annonce également des exemptions pour les associations relevant de la « Loi Coluche »[3], ce qui, selon Laurence de Nervaux, Responsable de l’Observatoire de la philanthropie de la Fondation de France, pose une autre question, celle de la hiérarchie des causes. « Loi Coluche », « Notre-Dame », et pourquoi pas les autres causes, comme celles notamment liées à l’environnement, alors que ce sujet devient crucial, s’interroge la Responsable ?

Créer un compromis entre l’idéal et le possible

Ce nouveau dispositif ne concernerait, selon Gabriel Attal, que 78 grandes entreprises. Pour Philippe d’Ornano, président de Sisley et co-fondateur du Club Mécénat des ETI, ce plafond de 2 millions pourrait au contraire toucher potentiellement 50 % des ETI (celles au CA supérieur à 400 millions d’euros), alors qu’elles sont très engagées dans le mécénat. 65 % de ces ETI ont établi leurs sièges sociaux hors de l’Ile-de-France et sont très liées à leurs territoires Elles soutiennent des actions locales et collaborent souvent avec les collectivités publiques du territoire. Comme les grandes entreprises, les ETI ont besoin de temps et de stabilité. Pour Philippe d’Ornano le message envoyé par le gouvernement, centré sur le coût du mécénat, est contreproductif car il semble tenir un double discours. D’un côté les entreprises devraient s’engager plus, notamment via la loi PACTE, et de l’autre, on leur dit que cet engagement coûte trop cher à l’Etat.

Les chiffres clés de la générosité en France

Comme l’a rappelé Daniel Bruneau la générosité a représenté en 2015 7,5 milliards d’euros dont 39 % pour les entreprises et 61 % pour les particuliers. Cette générosité n’a eu de cesse de croître depuis 2003 sauf à partir de 2017 pour les particuliers, où le passage de l’ISF à l’ISI et le prélèvement à la source ont, semble t-il, eu un impact sur les dons. Le mécénat, lui, a continué de se développer. Les entreprises sont toujours plus nombreuses à s’investir dans les causes d’intérêt général : 84 500 entreprises ont ainsi déduit plus d’1,95 milliard d’impôt sur les sociétés en 2017[4]. Pour l’Admical, les dons non déduits seraient sensiblement équivalents.

La France en retard par rapport à ses voisins européens 

La France a commencé à développer le mécénat assez tardivement et peine à rattraper son retard comme le rappelle Laurence de Nervaux. Elle compte environ 4 200 Fondations qui dépensent 7,5 milliards d’euros, contre 22 000 Fondations outre-Rhin pour 17 milliards d’euros. Concernant les dons des particuliers la France, avec 9 % de donateurs, ne se classe pas parmi les plus mauvais élèves mais se situe quand même loin du Royaume-Uni (47 %) et de l’Allemagne (17 %).

Faire se rencontrer deux mondes qui souvent s’ignorent

Pour Jean-Jacques Goron, délégué général de la Fondation BNP Paribas, la fiscalité n’est pas le moteur de la générosité des entreprises. La Fondation BNP Paribas a été créée en 1984, donc bien avant la loi mécénat de 2003. Son budget de 41 millions d’euros est très lié aux actions des territoires dans lesquels est implantée la banque, et 50 % de ce montant est alloué à des actions sociales, comme le soutien à des associations qui oeuvrent dans des banlieues en difficulté. Présente dans 70 pays BNP Paribas s’implique en outre dans des actions qui n’entrent pas dans le dispositif fiscal français. La motivation première c’est avant tout «  faire se rencontrer deux mondes qui souvent s’ignorent ». C’est pour cela qu’il est important de sensibiliser les salariés, par le biais de conférences, et aussi de faire connaître les actions en déployant des plans de communication dédiés à l’ensemble des parties prenantes.

Le mot de la fin revient à Gérard Larcher, Président du Sénat, qui, via une vidéo diffusée en début de colloque, a insisté sur le fait qu’il ne fallait pas « détricoter le dispositif fiscal actuel » mais conserver la loi de 2003 qui se voulait être avant tout «un compromis entre l’idéal et le possible ». 


[1]Observatoire de la Philanthropie, Fondation de France, mai 2019

[2]Source : DGFIP

[3] La loi Coluche permet de récupérer 75  % de son don à des organismesd’aide aux personnes en difficulté

[4] Source : DGFIP

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