Afin d’y voir plus clair dans ce débat qui n’en finit pas autour de la collecte pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, la Chaire de la Philanthropie de l’ESSEC a réuni le 19 novembre dernier deux acteurs qui ont été au cœur de cette levée de fonds hors du commun : Antoine Martel, CEO d’iRaiser Group et Jérémie Patrier-Leitus, Délégué général en charge des relations institutionnelles, des relations publiques et du mécénat de Notre-Dame de Paris au Ministère de la Culture.
Plongée dans les coulisses de cet événement qui marquera sans doute à jamais les mémoires.
15 avril 2019 : à 18h20 le feu se déclare au niveau de la charpente de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Alors que celle-ci brûle toujours, que les Parisiens, médusés, se réunissent sur les quais de la Seine, la Fondation du Patrimoine lance dès 21h30 une première collecte en faveur du monument. Le trafic sur les serveurs d’iRaiser Group explose dans les heures qui suivent. Peu de temps après d’autres acteurs entrent dans la danse, comme Leetchi (avec plus de 800 cagnottes mises en ligne) ou encore gofundme, le Pot Commun, Dartagnans, Commeon, pour n’en citer que quelques-uns.
Antoine Martel le précisera tout a long de son intervention : dans un événement comme celui-là, la « fenêtre médiatique » est extrêmement restreinte. De fait, sur les plateformes mises en place par iRaiser auprès de 3 des 4 organismes officiels, 68% des fonds sont réalisés dans les 48h qui suivent l’événement. Au total 30 millions d’euros sont levés, ce qui représente 200 000 dons provenant de 192 pays[1] et 15 000 connexions par seconde, un record ! Revers de la médaille, on compte en parallèle plus de 100 attaques par jour destinées à faire tomber la solution DOS ou encore trouver des failles dans la sécurité.
Et ce sont bien les premiers qui récoltent le plus d’argent : la Fondation du Patrimoine (60%), suivie de la Fondation Notre-Dame (25%), du Centre des Monuments Nationaux (12%) et de la Fondation de France (3%).
Les grands mécènes en première ligne
Les grands mécènes se manifestent également très rapidement. François Pinault est le premier à annoncer un soutien de 100 millions d’euros (via un communiqué de presse diffusé à 00h45 le 16 avril), annonce très largement relayée sur les réseaux sociaux (59 000 retweets). Bernard Arnault lui, fait part de son soutien un peu plus tard, à 8h30, mais pour un montant du double (200 millions d’euros) ; malgré ce montant énorme, la nouvelle ne récolte que 1 500 retweets. Sur les réseaux sociaux il faut aussi être le plus rapide… A 11h30, c’est au tour du PDG de Total de faire une promesse de 100 millions d’euros puis, à 15h30 à celui de la famille Bettencourt Meyers, l’Oréal et de la Fondation Bettencourt Schueller, pour une promesse de 200 millions d’euros.
Les nouvelles technologies,incontournables actrices de la collecte
Si les plateformes en ligne ont joué un rôle essentiel dans cette levée de fonds auprès des particuliers, la diversification des moyens de paiement a elle aussi été déterminante : la carte bleue a ainsi représenté 64% de la part du montant collecté, suivie de PayPal (11%), amazonpay (3%) et ApplePay (2%). La simplicité de la consultation des informations, sur mobile notamment (51% des fréquentations) a permis d’attirer les donateurs, même si la part du montant collecté a transité en grande partie via les ordinateurs (65%). Du côté des réseaux sociaux, si Facebook et Tweeter ont été les plus actifs dans cette collecte, force est de constater qu’Instagram a bien tiré sont épingle du jeu, les images de la Cathédrale en feu ayant eu un impact important sur les donateurs.
Pour Antoine Martel, le cas de Notre-Dame de Paris a également démontré que beaucoup de structures peuvent être concernées par des situations d’urgence, et pas uniquement celles travaillant dans des situations périlleuses comme Médecins sans Frontières par exemple. Dans tous les cas, il faut prendre des décisions rapides et courageuses, car « plus vous attendez moins il y aura d’impact et, par voie de conséquence, moins de dons ».
Une collecte sans précédent
De son côté, le gouvernement lance le 15 avril, dès 23h45, une souscription nationale. A ce moment-là personne ne sait encore si la cathédrale va s’effondrer ou non. Et on va assister à une collecte historique. Comme le rappelle Jérémie Patrier-Leitus, on garde en mémoire les dons de John D. Rockefeller versés en 1924 et 1927 qui ont permis de sauver le Château de Versailles ou encore cette levée de fonds historique destinée à construire le Sacré-Cœur de Montmartre qui réunira dix millions de contributeurs pour un montant de collecte de 46 millions de francs en un demi siècle. Les 800 millions d’euros annoncés pour Notre-Dame représentent ainsi un record inégalé.
Des montants qui mettent le feu auxpoudres
Alors que l’incendie est à peine éteint, l’annonce de la récolte de 800 millions d’euros crée immédiatement une polémique parmi la classe politique. Gilles Carrez, dès le 16 avril, s’insurge contre la défiscalisation des dons : « c’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge ! », déplore t-il dans Le Monde. Dans un article du Figaro, Marion Aubry dénonce, elle, « l’opération de communication » des grandes fortunes.
En réponse à ces critiques, les familles Pinault, Arnault et Decaux annoncent renoncer à la déduction fiscale.
Malgré toutes ces oppositions les dons affluent et un dispositif ad hoc est même lancé le 29 juillet : les dons en faveur de la reconstruction de Notre-Dame de Paris seront défiscalisés à hauteur de 75% jusqu’à 1 000 euros (au lieu de 66%). Un message entendu et bien accueilli puisque ce sont 85 millions d’euros qui seront ainsi récoltés auprès des particuliers.
Des entreprises qui regorgentd’idées pour s’engager
Force est cependant de constater qu’il y a eu une surmédiatisation de l’événement et qu’on a essentiellement entendu parler d’argent. Pourtant le mécénat en faveur de Notre-Dame de Paris a connu d’autres formes de soutiens de la part des entreprises, peut-être moins connues, mais tout aussi essentielles, comme le mécénat de compétences ou celui des dons en nature. On peut citer Orange qui envisage d’élaborer des visites virtuelles de la cathédrale, Sodexho qui s’engage à offrir un million de repas aux artisans, ouvriers, compagnons et associations qui interviendront dans les travaux de reconstruction, Air France, qui assurera le transport gratuit de tous les acteurs officiels qui participeront à la reconstruction de la cathédrale, Monoprix avec la mise en place de l’arrondi en caisse pour ses clients, ou encore JC Decaux qui propose de mettre à disposition « ses équipes créatives, architecturales et financières pour aider, autant qu’il sera souhaité, au long travail de reconstruction ».
N’oublions pas non plus les collectivités locales qui, elles aussi, se sont mobilisées très rapidement, aux premiers rangs desquelles la Ville de Paris (50 million d’euros) et la Région Ile-de-France (10 millions d’euros).
Jérémie Patrier-Leitus l’affirme : face à cet élan de générosité hors norme de la part de tous ces mécènes, « l’Etat assumera le fait que la reconstruction de Notre-Dame de Paris sera réalisée grâce au privé ». Et de conclure par ces mots : « les polémiques autour de la collecte de Notre-Dame de Paris sont une illustration des débats actuels autour de la place et du rôle de la philanthropie et du mécénat dans nos sociétés. » Des débats qui ne font que commencer…
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[1] Les donssont venus du monde entier à l’exception de 2 pays : la Somalie et laCorée du Nord