Rencontre avec Jacques-Henri Strubel, co-fondateur de La Cravate Solidaire
C’est alors qu’ils étaient encore étudiants en école de commerce que Jacques-Henri Strubel et ses deux camarades de promo Nicolas Gradziel et Yann Lotodé ont eu l’idée de créer La Cravate Solidaire, une association qui offre des vêtements aux demandeurs d’emploi pour leur entretien d’embauche. La mission de l’association est triple :
- collecter des costumes, tailleurs, chaussures, vestes, chemises, pantalons, cravates et accessoires ;
- distribuer ces vêtements à des personnes qui en ont besoin pour passer des entretiens d’embauches ;
- aider ces personnes à préparer l’entrevue grâce à l’aide de coachs en images et de recruteurs bénévoles.
Jacques-Henri Strubel (qui n’a aucun lien de parenté avec moi) nous raconte l’histoire de cette association pas comme les autres, qui fait le lien entre le monde de l’entreprise et les personnes en situation de précarité.
Comment l’idée de créer La Cravate Solidaire vous est-elle venue ?
Nous faisions tous les trois nos études à La Défense, dans le domaine de l’entreprenariat. Lors d’un séminaire de créativité, on nous a attribué le thème « James Bond ». Pour nous, James Bond, dans son costume impeccable, c’était le chic absolu. On a alors imaginé ce qui allait devenir le concept de La Cravate Solidaire : offrir des vêtements à ceux qui n’en ont pas les moyens. D’ailleurs, nous ne pouvions pas nous offrir de costumes à l’époque ! Cette problématique nous parlait directement. C’est donc un peu une histoire personnelle. On a rapidement décidé de créer une association et on a démarré de manière simple, à très petite échelle, en demandant à nos parents et à nos amis de nous donner les vêtements dont ils n’avaient plus l’usage.
Votre slogan est « l’habit ne fait pas le moine mais il y contribue ». Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur cette notion d’ « apparence » ?
Contrairement à ce que l’on peut penser, le vêtement est une importante source de discrimination : la façon de se présenter est essentielle lorsque vous cherchez du travail et que vous devez vous rendre à un entretien. Mais cette discrimination va au-delà de l’apparence vestimentaire. Il y a aussi la manière de bouger, le vocabulaire que l’on emploie, les mimiques, etc. Tout cela relève de codes que beaucoup ne maîtrisent pas, car ils n’ont pas été appris durant la scolarité.
Comment trouvez-vous les bénéficiaires et quels sont-ils ?
Nous avons démarré en collaboration avec la mairie de Joinville-le-Pont, où nous étions basés, qui connaissait des jeunes à la recherche d’emploi. Il s’agissait pour eux d’arriver à s’insérer, mais surtout de reprendre confiance. A l’occasion de notre premier atelier, un journaliste de « 20 minutes » était présent. Juste après la parution de l’article sur notre association, nous avons été contactés par la mission locale de Paris qui a proposé de nous soutenir ; cela nous a servi de tremplin.
Votre mission va aujourd’hui bien au-delà de la distribution de vêtements.
Oui, car les demandeurs d’emploi n’ont pas seulement besoin de vêtements adéquats : ils ont aussi besoin de conseils pour préparer leur entretien. Alors nous nous sommes entourés de bénévoles dans le domaine du conseil en image, des ressources humaines, et nous avons développé notre propre « coaching »issu de nos propres expériences.
A ce sujet, avez-vous le sentiment qu’il y a un manque de la part des services publics qui expliquerait que votre association ait rencontré un tel succès ?
Pas tout à fait, car nous n’avons pas la même approche que les différents services existants. Nous organisons des ateliers « coup de pouce » qui durent 2 heures et qui sont encadrés par 4 bénévoles. Nous privilégions la détente, la mise en confiance. Le service public, lui, travaille sur la durée. Je dirais donc que nous sommes complémentaires.
Vous intervenez dans beaucoup de très grandes entreprises. Quels liens avez-vous avec leurs collaborateurs ?
Nous avons la chance d’être accueillis pas des entreprises dont les collaborateurs, en plus de faire don de leurs vêtements, participent à leur tri. Cela a encore été le cas très récemment à la Société Générale qui nous a accueillis dans 20 entités de son réseau français avec un très beau résultat puisque plus de 2 000 kilos de vêtements ont été offerts à cette occasion ! Ce sont toujours des moments d’échanges très conviviaux. On propose parfois aussi aux salariés de participer à nos ateliers « coup de pouce ». Grâce à toutes ces rencontres, nous avons aujourd’hui une équipe d’environ 800 bénévoles en France, souvent spécialisés en recrutement. Nous avons en parallèle développé pour eux un « team building quizz » concernant la discrimination sur la manière de se présenter. Ils sont très souvent surpris de constater que certains d’entre eux la pratiquent sans le savoir.
Après 6 ans d’existence, où en êtes-vous et quels sont vos projets de développement ?
Depuis 2012, plus de 4 000 personnes ont été accueillies au sein de notre association et nous avons un taux de retour à l’emploi de 70%, ce qui est pour nous une vraie fierté. Concernant notre développement, nous sommes en phase d’essaimage en régions. Il existe aujourd’hui 9 « Cravates solidaires » en France et 1 en Belgique. Bien entendu, ces antennes locales doivent répondre à notre charte de valeurs et c’est nous qui assurons la formation de leurs bénévoles. Pourtant, lorsque nous avons démarré cette aventure dans mon studio, nous ne cherchions pas du tout à nous étendre, ce qui prouve que ce que nous proposons répond à un véritable besoin. Aujourd’hui, nous souhaitons poursuivre notre développement dans d’autres régions tout en réfléchissant à la structure du réseau, en créant, pourquoi pas, une fédération.